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Table ronde sur l'instruction en famille

Le projet de loi "renforçant la laïcité et confortant les principes républicains" prévoit, en ses articles 18 et 19, une réduction drastique des possibilités de pratique "l'instruction en famille" (école faite à la maison, par les parents). De nombreuses familles ayant fait le choix de l'IEF m'ont interpellée, atterrées à l'idée de ne plus avoir le droit de pratique l'IEF et de devoir renvoyer leurs enfants à l'école.

J'ai tenu à organiser une table ronde en visio, retransmise sur les réseaux sociaux en direct, afin de permettre un véritable débat sur le sujet.

Ci-dessous le compte-rendu de cet échange.

 

Intervenants : → Béatrice Descamps, député du Nord ;

→ Michaele et son fils Ulysse Gronier (famille valenciennoise pratiquant l’IEF);

→ Alix Fourest, association LAIA (Libres d’Apprendre et d’Instruire Autrement) ;

→ Dr Marie-Line Joseph, pédopsychiatre du Centre hospitalier de Valenciennes ;

→ Michel Soussan, ancien DAASEN

→ Anne-Laure Arino, DAASEN

 

Mot d’accueil de Béatrice Descamps

Remerciements des intervenants et participants. Le projet de loi sur la laïcité fait état d’un titre sur la scolarité, dont l’article 18 qui réaffirme l’école obligatoire de 3 à 16 ans, avec une nouvelle interdiction de l’IEF.

 

[Présentation des intervenants]

 

Michaele Gronier : 3 enfants, dont 2 pratiquent l’IEF : Ulysse, 13 ans, et Violette, 17 ans. Garance, 15 ans, est scolarisée au lycée. Madame Gronier est professeur de SVT. « Aujourd’hui, nous sommes assez atterrés ; le 2 octobre nous avons appris que l’IEF ne serait plus un droit pourtant inscrit dans la Constitution ». La pratique de l’IEF est déclarée, un cadre législatif existe et il est rigoureux. Préjugé : les familles pratiquant l’IEF sont sous les radars, en marge de la société. Certains de nos enfants ne sont pas pour autant heureux à l’école. C’est un choix conséquent, ces familles ont construit leur vie sur ce projet.

 

Ulysse Gronier : l’enfant pratique sa troisième année d’IEF, arrêt de l’école en CM2 pour une école Montessori. « Chaque jour, c’était la pire journée de ma vie ». En CM2, l’enfant se fait une entorse qui tarde à guérir et se retrouve en fauteuil roulant. L’enfant avait peur de tout, était malheureux. Pour l’institutrice, c’est le corps d’Ulysse qui parle, il n’est pas fait pour l’école classique. Diagnostiqué haut potentiel. L’école Montessori s’offrait comme une solution satisfaisante pour lui. Mais doucement, il eut l’impression de ne pas apprendre assez. Quid de la 6e ? L’enfant avait le niveau pour entrer en classe de 4e. La solution de l’IEF l’a rendu plus heureux, épanoui, apprend à son rythme, beaucoup d’activités (club de plongée, cours d’ornithologie à Lille, photographie, actualité, géopolitique, cuisine). « Cela permet de rencontrer des personnes plus larges, et d’avoir des sujets de discussions plus intéressants ».

 

Michel Soussan : témoigne d’une famille pratiquant l’IEF confinée dans une secte. « Le projet de loi qui interdit l’IEF me gêne carrément ». Il faut maintenir l’IEF, mais s’assurer que les parents sont capables d’enseigner à domicile, ou comme Ulysse, avoir un enfant capable d’aller plus vite. Mais il faudrait davantage de précautions, particulièrement quand cela est lié à la laïcité. « Le Conseil Constitutionnel ne laissera pas passer cette interdiction ».

 

Michaele Gronier : l’IEF est déjà très règlementée... !

 

Alix Fourest : maman d’enfants (13 et 15 ans) non scolarisés et contrôlés pendant des années, cette année ils ont exprimé leur souhait d’aller à l’école et ont donc fait leur première rentrée. LAIA est une association favorisant les rencontres entre enfants et entre parents. Beaucoup de rencontres s’effectuent au niveau local. Accès à toutes les activités : musées, palais des sciences, visites ouvertes, beaucoup de rencontres entre enfants… + activités extra-scolaire (tous les soirs). Depuis leur scolarisation à l’école, les enfants ont dû réduire leurs activités extra-scolaire, voire ne plus pouvoir en faire, faute de temps avec leur nouveau rythme scolaire. Concernant les contrôles, il y en a un par an pour la partie pédagogique, et un tous les deux ans effectués par les mairies. Les inspecteurs sont capables d’identifier les éventuels problèmes. La Miviludes a clairement dit que l’IEF n’avait aucun lien avec les dérives sectaires. « On joue sur les peurs… L’IEF permet à des enfants en souffrance à l’école de faire une parenthèse, la déscolarisation s’effectue sur quelques années, pour le bien-être de l’enfant (700 000 enfants victimes de harcèlement) ». Cela laisse la liberté aux familles de retirer l’enfant de l’école. Paradoxalement, les enfants hors circuit sont plus tolérants car ils acceptent entre eux des personnalités différentes, chacun a son parcours. Les enfants à l’école victimes de harcèlement sont souvent renfermés.

 

Michel Soussan « Je trouve que cette version est idyllique, certains enfants pratiquent l’IEF pour de toutes autres raisons. » Plus de filles sont retirées de l’école (cf. article Darmanin).

 

Alix Fourest : Des journalistes ont démontré qu’il n’y a pas de déficit de scolarisation pour les filles. Cela dépend des années, et l’article ne s’appuie pas sur des chiffres réels. Certes, par les cellules d’évitement scolaire, des milliers d’enfants sont disparus dans la nature, mais on parvient aujourd’hui à les identifier. Les outils sont déjà présents pour repérer ces enfants. Dans les milieux associatifs, les familles cherchent du lien donc ne sont pas radicalisées.

 

Anne-Laure Arino : remerciements pour ces témoignages éclairants. En préambule, aujourd’hui en tant que directrice académique adjointe (fonctionnaire), et face au principe républicain, celui de la neutralité, elle ne pourra donner son avis sur un projet de loi. Les chiffres au niveau ministère ne sont pas stables, mais il est observé une hausse importante des chiffres (x2,5 depuis 2018 pour le département du Nord). Ces chiffres inquiètent. « En tant qu’inspectrice d’académie, que devons-nous faire pour que les enfants ne soient pas dans la douleur à l’école. On s’interroge sur les pédagogies, sur le harcèlement, sur les méthodes alternatives d’enseignement ». Mais le PJL parle de la question du séparatisme ; « je ne pensais pas du tout à vous, ces familles, dont nous respectons totalement le choix » [cf. famille Gronier]. L’obligation de l’instruction obligatoire à 3 ans (la tranche 3-6 ans constitue la moitié du chiffre global départemental de l’IEF) a fait gonfler le chiffre. Alors que l’Etat pense ouvrir l’école républicaine et laïque dès le plus jeune âge, le fossé énorme est observé sur l’accès au vocabulaire, à la langue, les différences entre les familles creusent les inégalités. L’école vient donc pallier cela. Aujourd’hui, beaucoup d’interrogations se portent sur ce choix pour cette tranche d’âge. « Il est clair que quand j’assiste à des réunions au niveau interministériel sur les sur l’instruction et la radicalisation, ces familles radicalisées existent ».

 

Dr Marie-Line Joseph « c’est extrêmement riche et intéressant d’entendre les intervenants autour de l’enfant. Je rejoins Madame Arino sur les questionnements, surtout sur les tout-petits et le passage de scolarisation de ces enfants entre la crèche et l’école. Je suis assez interpellée par les chiffres que vous donnez, et par la réticence de ne pas les scolariser comme étant une chance pour eux, en les pensant mieux à la maison qu’à l’école ». La région Hauts-de-France est fortement impactée par les difficultés d’insertion sociale, les difficultés financières, professionnelles… « Dans ma fonction journalière, je vois bcp d’enfants qui ne savent pas ce que c’est les activités. A 14 ans, il découvrait les piliers du pont de son village par une sortie dominicale. Il était convaincu que c’était la normalité ». Le sujet des hauts potentiels a été très médiatisé à une époque, avec une idée de réaliser des classes spécifiques pour les hauts potentiels. La réponse fut clair : « il n’y a pas de hauts potentiels au-dessus de Paris ». Est-ce la loi que l’on questionne ou la souffrance des enfants ? Pourquoi autant d’enfants sont en souffrance et par répercussion, pourquoi autant de parents craignent que leurs enfants ne soient pas en sécurité à l’école ? Beaucoup de parents vont voir les instituteurs en demandant d’être épaulés pour aider leur enfant. La déscolarisation n’est pas un mot adapté : parler de « scolarisation autrement ». On parle de phobie scolaire pour certains élèves. On évoque le CNED, mais le coût et la paperasse sont souvent dénoncés par les familles. Le projet de loi indique l’exception « sauf indication médicale », doit être réfléchi, qu’est ce qui relève d’une éviction scolaire ? Comment retravailler une réintroduction scolaire ? Qu’en est-il au niveau universitaire ? Souvent, les enfants précoces et/ou ayant pratiqués l’IEF se retrouvent très jeunes à y entrer, doivent redoubler ou être réorientés car la maturité et le développement personnel ne suivent pas. L’école permet d’apprendre à trouver une place au milieu d’autres, bienveillants ou malveillants, à se défendre, à faire évoluer ses émotions, et faire comprendre à l’autre ce qui nous plaît et ce qui nous blesse. Il faut repenser le débat non de manière tranchée mais prendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

 

Michaele Gronier : « Je regrette d’avoir précisé qu’Ulysse était haut potentiel ; le sujet qui nous occupe aujourd’hui, c’est l’école. Mme Descamps va avoir à se positionner sur une loi. » Revenons aux chiffres, en nette augmentation depuis l’obligation d’instruction ramenée à 3 ans. La scolarisation très précoce est beaucoup remise en question par des personnes qui s’intéressent à la neuro science. L’attachement est quelque chose de très important. Il faut que le cerveau soit prêt à apprendre, sans que ce soit précocement, pour apprendre à affronter la vie. Il faut dissocier l’école déclarée et l’école clandestine. Il ne faut pas confondre instruction en famille et absentéisme, on fait l’amalgame instruction en famille et radicalisation. « J’aimerais que l’on puisse avoir des chiffres sur lesquels discuter véritablement. » Il y a aussi l’effet du masque et la crainte de la crise sanitaire par rapport à l’école. 50 000 enfants sont déclarés en IEF, dont 25 000 au CNED. Les 25 000 autres sont contrôlés par les mairies. Il est tout à fait possible de recouper Les cellules contre l’évitement scolaire (Tourcoing, Roubaix, Maubeuge) avec les mairies, la CAF, les départements. Entre les effets d’annonce et la réalité, il y a un écart énorme, et concerne souvent des familles de migrants, et/ou dans une pauvreté terrible, mais ne sont pas déclarées comme IEF. Concernant les dérogations : qui sera autorisé à dire si un enfant peut rester à la maison ? Le médecin scolaire donnera son avis pour faire ce travail, alors que l’on sait très bien qu’il manque de médecin, attente de 20 mois à Valenciennes pour un 1er rendez-vous. « En France, les parents ont par priorité le choix de l’éducation de leurs enfants (Déclaration des droits e l’homme et du citoyen) et ont le droit de le déléguer à l’école, mais ont aussi le droit le droit de le faire eux même. Une école où on a plus qu’un seul choix, ce n’est plus une démocratie. C’est un droit, on doit y mettre les moyens pour le faire respecter. »

 

Michel Soussan « Je suis plutôt contre l’interdiction de l’instruction en famille. C’est normal d’être déclaré et contrôlé. Mais je pense qu’il faudrait des contrôles a priori, pour vérifier ce qu’il se passe dans certaines familles. Dans les cellules d’évitement scolaire, on commence à connaître les cas et les raisons. Mais je crois qu’il faut trouver un juste milieu. Dans certaines familles, on embrigade les enfants, mais bien identifier. »

 

Anne-Laure Arino : Concernant les contrôles et l’augmentation du chiffre, il a fallu organiser la contuinité des contrôles. Où se joue l’égalité des chances ? On parle de familles défavorisées, non diplômées, pas de chiffre sur ces communautés, et encore moins sur la communauté musulmane. « Il ne s’agit pas d’un procès de l’école, et une des formes de séparatisme est de creuser sans cesse le fossé de l’école. Nous devons conforter l’image de notre école, quel que soit le choix des parents qui est aussi respectable. »

 

Michaele Gronier : Face à l’échec scolaire, la famille peut s’adapter à l’enfant, et lui permettre de s’instruire. Exemple d’une maman qui ne parle pas très bien le français : son enfant est à l’école est déscolarisé car l’école ne se passe pas bien. Elle lui apprend elle-même la langue, et apprend pour elle aussi, elle s’émancipe en même temps.

 

Conclusion de Béatrice Descamps

« J’ai vécu un moment d’échanges très riches, beaucoup de messages, dont un qui témoignait de la réussite des enfants ensuite à l’université. Je ne peux pas relayer les 1 200 messages, mais s’il y a peu de familles déclarées concernées, il y a un intérêt important de ce sujet. Aujourd’hui, il est important de trouver des compromis, ce n’est pas pour la majorité et pour vos familles que cette loi est prévue. »

 

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